Edith Delbreil Sikorzinski
Médiateure Professionnelle
Jean-Louis Lascoux
Président de l’EPMN
Avocat Honoraire – Village de la Justice
On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la décision prise par la Cour Constitutionnelle italienne, le 12 décembre 2012, qui avait de la même façon, retoqué le législateur dans le cadre de la médiation obligatoire pour certains litiges. En fait, il était apparu que la rédaction du texte manquait de clarté et souffrait d’imprécisions dans la mise en œuvre de son dispositif. Fin 2013, avec un meilleur rédactionnel, la médiation obligatoire a été rétablie et a pris depuis une place importante dans le règlement des conflits. Nous espérons qu’il en soit ainsi dans le pays de Molière…
Détermination du législateur vers une médiation obligatoire ?
Renvoyé à sa copie, le gouvernement a rédigé un tout nouveau décret n° 2023-357 en date du 11 mai 2023, publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023 (3), réintroduisant l’article 750-1 du Code de procédure civile dans sa rédaction initiale, à la différence près que des précisions sont apportées quant à l’indisponibilité des conciliateurs de justice, en tant que dispense de l’obligation préalable. Contre toute vraisemblance, et malgré toutes les résistances manifestées, la médiation obligatoire apparait bien comme un objectif inscrit dans la feuille de route pour la modernisation continue du système judiciaire.
C’est ainsi que les dispositifs se multiplient notamment, dans les domaines de la fonction publique et de la santé et que les tentatives d’obstruction sont délicatement, mais fermement dépassées. Il est toutefois bien difficile, pour des juristes, d’imaginer ce qui peut être qualifié de déjudiciarisation.
Obligation de médiation, de quoi s’agit-il ?
Contrairement à ce qu’affirment certains, le conflit n’est pas l’expression de deux libertés mais la résultante d’une relation dégradée. Cette dégradation se fait au fur et à mesure des échanges, avec maladresse, ignorance, par manque évident de savoir-faire dans le domaine des relations humaines.
Deux personnes en conflit sont deux personnes dominées par leurs émotions au point de solliciter du juge « justice », sans prendre conscience qu’elles se privent de leur liberté de décision et acceptent de se soumettre à la décision de celui-ci au risque qu’elle leur soit défavorable ! De la même façon, elles ne peuvent, à l’instant, imaginer ce que la médiation peut leur apporter tant les émotions sont débordantes, envahissantes. Elles ne sont donc pas libres.
Le droit à l’instruction a permis l’instauration de l’obligation à l’instruction, sur ce même constat d’ignorance, et personne ne s’en offusque.
Entre une obligation d’aller en justice et une obligation d’aller en médiation, laquelle préférez-vous ? Je vous pose cette question car à bien y réfléchir, l’obligation d’aller en justice, c’est l’acceptation de se soumettre à la décision d’un tiers. Il n’y a aucune liberté chez celui qui va en justice, ni pour celui qui la saisit, ni pour celui qui la subit ! Alors, entre l’obligation d’aller en instance judiciaire et celle d’aller en médiation avec la possibilité de retrouver une solution pérenne par un dialogue apaisé, il y a bien deux poids, deux mesures et dénoncer le concept d’obligation est un faux débat.
De la médiation obligatoire au droit à la médiation, il n’y a qu’un pas.
Avec la médiation, la médiation professionnelle s’entend, il est question de créer un espace nouveau pour l’exercice de la liberté de décision et l’institution d’un droit fondamental, le droit À la médiation : celui de pouvoir décider par soi-même avec l’aide d’un tiers, un médiateur, professionnel de la relation qui va permettre de restaurer l’entente entre les parties, pour une solution pérenne au conflit. (4)
Au 17ème siècle, les Lumières avaient déclaré que tous hommes naissent libres et égaux, et bénéficiaient d’un droit fondamental, celui d’accès à la justice. Cependant, force est de constater que ceux-ci renonçaient en définitive à leur liberté de décider et se soumettaient volontairement à la décision d’une autorité suprême, le juge. Tel est notre héritage !
Or, l’abondance des textes est telle que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » se révèle plus que jamais, être une fiction juridique. Il en est de même de la règle selon laquelle « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » alors que l’on ne peut réfléchir en termes de liberté comme en termes de propriété !
Il est sans doute, venu le moment de réfléchir autrement et de permettre à tous justiciables, la possibilité de retrouver sa liberté de décision par l’institution d’un droit fondamental dans la constitution, celui du droit À la médiation.
L’émergence d’un « droit à la médiation ».
Le droit À la médiation peut s’exercer dans une culture qu’il convient de réformer et œuvrer sur le transfert des repères culturels pour que les personnes puissent mieux exercer ce droit qui correspond à l’extension de l’exercice de la liberté.
Ne vous méprenez surtout pas : ce droit À la médiation se distingue du droit DE la médiation. Il serait plus familier pour des juristes, d’aborder la médiation, sous l’angle des textes qui en facilitent sa mise en œuvre, une sorte de modélisation. Ce droit DE la médiation est associé à l’idée de provenance, c’est-à-dire un droit ancré dans des représentations du passé avec toutes ses lourdeurs. Développer davantage ce droit DE la médiation n’aurait comme conséquence, que de renforcer un système de substitution tel qu’il existe.
Il faut insister sur cette distinction. Avec le droit À la médiation, c’est l’affirmation d’un droit qui vise à déjudiciariser les aléas relationnels. Ce droit serait associé non plus à la provenance, mais à la notion de destination : il va permettre d’établir librement un projet relationnel en restaurant l’entente et donc, comparée à la lourdeur judiciaire, avec légèreté.
Vouloir ainsi réformer la justice, c’est avant tout, repenser ses fondements, c’est revoir ce que représente l’idée de justice, à quoi elle fait référence et à quoi elle s’applique. Vouloir insérer la médiation dans le système judiciaire consiste avant tout à s’interroger quant au but. Le législateur doit réfléchir à ces aspects avant d’aller plus en avant afin d’éviter les écueils d’une énième réformette. Tout sera question d’éthique, c’est-à-dire une conception moderne de la vie en société et de ses pratiques régulatrices.
De ce fait, l’institution d’un droit à la médiation induit nécessairement formation des magistrats, afin qu’ils puissent prescrire avec connaissance, et formation des médiateurs judiciaires, étant précisé que « médiateur » est une nouvelle profession dont les compétences consistent dans l’aide à la réflexion, à la prise de décision et à l’assistance pour la conduite de projets relationnels, qu’il s’agisse de rétablissement des relations ou de changement.
Un tel projet pourrait bien être soutenu par une modification constitutionnelle plaçant le droit à la médiation comme une extension d’un plein exercice de la liberté.


Christian Badé, Conciliateur de Justice,
Association des Conciliateurs de justice de la Cour d’Appel de Versailles (ACCAV). Village de la Justice
AUDIENCE DE RÈGLEMENT AMIABLE ET CONCILIATION DÉLÉGUÉE SONT-ELLES DÉFINITIVEMENT INCOMPATIBLES ?
Les Audiences de Règlement Amiable (ARA), destinées à être mises en œuvre exclusivement au sein des tribunaux judiciaires, ne sont pas prévues pour la procédure dite orale des tribunaux de proximité – où continueront donc a priori de s’exercer les conciliations déléguées à l’audience ? Cette incompatibilité est elle définitive ?
L’audience de règlement amiable (ARA) est annoncée comme un moyen supplémentaire donné au juge d’assurer sa mission conciliatrice, qui complétera les autres dispositifs de l’amiable : la conciliation déléguée aux conciliateurs de justice, la médiation et la procédure participative.
Cette mission pourra être confiée soit à un magistrat honoraire soit à un magistrat à titre temporaire.
Les ARA, destinées à être mises en œuvre exclusivement au sein des tribunaux judiciaires (TJ), ne sont pas prévues pour la procédure dite orale des tribunaux de proximité (TP) où continueront donc a priori de s’exercer les conciliations déléguées à l’audience.
Cette incompatibilité tient elle à la qualité présumée des Conciliateurs de justice (CJ) qui ne seraient pas à la la hauteur de la tâche ou bien à la situation très difficile des greffes de proximité déjà saturés ? Et finalement pourquoi le grand bénéficiaire de l’amiable ne pourrait elle pas être aussi la justice de proximité incarnée par le juge des contentieux de la protection (JCP) et ses modestes justiciables ?
I – D’ores et déjà une question de moyens.
Si la nouvelle politique de l’amiable sera accompagnée par un plan de recrutement ambitieux, force est de constater que le fonctionnement nominal des futures ARA prendra du temps, compte tenu de la tension qui pèse aujourd’hui sur le service public de la justice et dont de nombreux TJ se font l’écho à travers la France.
Qu’en sera t’il au niveau de son émanation, le tribunal de proximité (TP) où officie le JCP ? La réponse est claire : l’ARA ne concernera pas la procédure orale des instances de proximité, bien qu’une pratique éprouvée existe déjà : la conciliation déléguée à l’audience.
Les greffes pourraient ils assumer une charge de travail supplémentaire à un moment où l’écrit l’emporte finalement sur l’oral ?
Les réponses viennent du terrain et sont unanimes.
Une greffière du Service Civil du TP : « Pour moi la difficulté relève surtout des homologations qui ne pourraient pas être faites à l’audience je n’ai pas le temps, c’est long à préparer le logiciel ne fusionnant pas ce type de trames, et si on doit attendre des conciliations sur chaque dossier, l’audience va fortement s’allonger puisque nous devrons tous attendre que toutes les conciliations soient finies pour finir l’audience.
En l’état il n’y a qu’une seule conciliation donc ce n’est pas gênant, mais si cela devait fortement se développer, ça ne serait plus gérable niveau planning ».
La cheffe de greffe de ce même TP : « Pour l’instant, il serait préférable que ce fonctionnement reste exceptionnel effectivement. Lorsqu’on parle « d’homologation immédiate devant les parties », il faut entendre que pour le greffe cela signifie : rédaction d’une ordonnance sur requête immédiatement, dans l’urgence de l’audience et en plus de l’audience à gérer. Cela peut être possible pour un dossier de temps en temps, mais pas en permanence ni de façon systématique. C’est une source d’erreur. Je pense que nous pourrons reposer le problème lorsqu’un magistrat sera affecté définitivement… ».
Quant aux moyens matériels, si PC et imprimante peuvent être trouvés, il n’en va pas de même en revanche, dans la grande majorité des cas, pour les salles du tribunal qui peuvent être utilisées pour les conciliations déléguées, a fortiori s’il s’agissait d’ARA.
II – Mais aussi une question de confiance.
D’un côté, le rôle du CJ « faiseur de paix » est unanimement reconnu, mais, d’un autre, il ne serait pas apte à aider juge et avocats en mode amiable de proximité…
L’ARA concerne exclusivement juges et avocats. Soit. Mais au niveau des TP où l’on peut retrouver les mêmes protagonistes, ne serait il pas judicieux de rechercher également un appui auprès de CJ rompus à cet exercice ?
Serait ce le moment de revoir sensiblement le statut du CJ comme l’a écrit le Garde des Sceaux ? Dans quel but ?
Si c’est à périmètre d’intervention identique, cela ne semble pas en effet prioritaire mais si c’est pour renforcer son rôle aux côtés du JCP, cela prendrait tout son sens.
Bien sûr, tous les CJ ne souhaitent pas forcément s’investir dans ce rôle qu’ils n’ont peut être jamais assumé lors de conciliations déléguées à l’audience.
Mais combien d’autres sont rompus à cet exercice et seraient volontaires pour le faire dans le cadre de la nouvelle politique de l’amiable ?
Ils pourraient être accompagnés dans ce nouveau challenge, si besoin est, par une formation complémentaire dispensée par l’ENM.
L’objectif ne serait il pas de prodiguer aux justiciables une justice de proximité prompte, économique et complète alliant conciliations conventionnelle et judiciaire ?
On reconnaît aux CJ d’être :
- formés et compétents dans la conduite amiable ;
- gratuits (service public de la justice) ;
- disponibles et diligents ;
- proches du lieu du litige ou de l’une des parties ;
- de pouvoir mener une instruction complète du dossier, auditionner des tiers, de pouvoir se transporter sur les lieux.
Et pour certains d’entre eux :
- d’avoir l’expérience des différents types d’affaires facilement conciliables ou non, y compris pour certains en conciliation déléguée à l’audience ;
- de savoir rédiger un procès-verbal de constat d’accord sur le même modèle que celui utilisé par le greffe pour un jugement.
Pour « aller plus loin », serait il opportun de permettre au CJ :
- de se voir déléguer par le juge la conduite d’ARAP (audiences de règlement amiable de proximité), s’agissant d’ affaires bien définies, de par leur nature ou leur montant ;
- de tenter de concilier les parties qu’elles soient assistées ou non par leur conseil, ce qu’il fait déjà ;
- d’homologuer les procès verbaux ainsi établis – peut être l’évolution de statut annoncée ? En cas d’échec, les affaires devront de toutes façons repasser devant le juge.
III – Et un gisement commun d’opportunités.
La participation du CJ à d’éventuelles ARAP serait opportune au regard de :
- la multiplication des petits litiges, notamment en matière de consommation, qui peuvent se régler sans l’intervention du juge ;
- la nécessité de décharger intégralement le juge de proximité de certaines affaires difficiles à trancher sans un minimum d’instruction préalable, recherche d’informations, audition de tiers et/ou transport sur les lieux ;
- la possibilité de réserver l’intervention du juge à des affaires ciblées, plutôt « sur dossier » et conclusions du/des avocat(s) des parties.
Les litiges les plus fréquents en audience du JCP sont les baux d’habitation et les crédits à la consommation.
Certains autres se prêteraient à une ARAP :
- copropriété (charges, travaux…) ;
- consommation : produits (livraison, garantie, SAV, vice caché,…) travaux (malfaçon, abandon de chantier,…) services … ;
- litiges immobiliers sans incidence sur le droit de propriété, et nécessitant a priori une approche terrain ;
- responsabilité du fait des animaux avec un enjeu financier ;
- certaines créances ;
- troubles anormaux de voisinage, à la différence de la plupart des conflits de voisinage qui peuvent a priori être traités efficacement en conciliation conventionnelle, etc…
Ou bien, à défaut d’ARAP, conviendrait il de renforcer les moyens des greffes pour favoriser plus de conciliation déléguées à l’audience, l’ARA des plus modestes en quelque sorte ?
Moyens des uns, qualité des autres, champ d’application législatif, autant de paramètres qui ne favorisent pas pour l’instant la nouvelle politique de l’amiable en proximité.
Edith Delbreil Sikorzinski
Médiateure Professionnelle
Avocat Honoraire
EXERCER LE « DROIT À LA MÉDIATION » POUR LE CONSOMMATEUR, MAIS QU’EN EST-IL POUR LE PROFESSIONNEL ?
L’article L612-6 du Code de la Consommation, issu de l’Ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 consacre un véritable droit à la médiation au bénéfice du consommateur et corrélativement, une obligation, pour tous professionnels, de mettre en place un dispositif gratuit à cette fin. Est-ce pour autant une obligation pour le consommateur d’y recourir ? Nous pourrions imaginer deux possibilités : obligation par la loi et obligation par l’insertion d’une clause de médiation.
Côté législateur, la principale préoccupation est de désengorger les tribunaux et de « changer de paradigme » comme l’a déclaré récemment le Garde des Sceaux, en privilégiant la culture de l’amiable et du dialogue. Dans ce changement de paradigme, il y a l’ouverture sur une toute autre voie que le modèle ancestral consistant à la mise sous tutelle des personnes recourant à l’institution judiciaire. « La médiation a ouvert une voie nouvelle visant le renforcement de la liberté contractuelle, par l’incitation à la liberté de décision ». La tradition tutélaire qui en incite le recours a cependant de grandes difficultés à lâcher prise…
La loi dite « Justice 21 » du 18 novembre 2016 et son décret d’application du 11 décembre 2019 ont bien que timidement, ouvert la voie, en imposant une tentative de règlement amiable préalable à tout procès, sous peine d’irrecevabilité, pour tous conflits de voisinage et litiges inférieurs à 5.000 euros. Le monde judiciaire s’est montré réticent puisque sur recours du CNB, le Conseil d’État par une décision en date du 22 septembre 2022, a annulé l’article de référence en la matière, à savoir l’article 750-1 du Code de procédure civile.
En attendant que le législateur revoit sa copie, ne pourrait-on pas imaginer qu’un contrat, de consommation en l’occurrence, puisse contenir une clause par laquelle les parties s’obligeraient à recourir par la voie de la médiation, avant tout procès ?
C’est ce que la Cour de Cassation a tranché récemment, dans un litige opposant un consommateur à son architecte, maître d’œuvre, lequel assigné, a sollicité le bénéfice de la clause de médiation insérée dans leur contrat [1]. La cour d’appel a initialement validé cette demande et a été censurée, au vu des dispositions de l’article R212-2-10 du Code de la consommation qui entretemps, a été modifiée par une ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 donnant naissance à un article L612-4 qui interdit purement et simplement « toute clause ou convention obligeant le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation préalablement à la saisine du juge ».
Le législateur aurait-il peine à tracer une politique cohérente, alliant protection du consommateur et priorité aux voies amiables ?
A l’heure actuelle, ce droit à la médiation au bénéfice du consommateur a pour corollaire, une obligation pour le professionnel de mettre en place un dispositif de médiation au service du consommateur. En fonction du bon-vouloir du consommateur, ce même professionnel se verra convié en médiation ou attrait en justice.
Permettons-nous un moment de réflexion : qu’aurait le consommateur à gagner ou à perdre en allant en médiation ? Qu’aurait-il parallèlement à gagner ou à perdre en allant au judiciaire ? Sachant que si le moindre doute ou suspicion portaient sur la posture du médiateur en termes de neutralité, impartialité et indépendance, ceux-ci seraient de suite dissipés eu égard aux dispositions du Code de la consommation et le contrôle exercé par la CECMC (Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation), créée par l’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Rappelons en effet que tous les médiateurs de la consommation et praticiens sont agréés et contrôlés par cette instance, dont le secrétariat est assuré par la DGCCRF.
Instituer un « droit à la médiation » ne devrait-il pas bénéficier à tous, professionnel inclus lorsqu’il le revendique ? Le but n’est-il pas de promouvoir un meilleur exercice de la responsabilité dans les relations entre vendeurs et acheteurs ?
La médiation de la consommation a été mise en place pour faciliter le dialogue et permettre le règlement d’un plus grand nombre de contentieux ou de conflits.
Refuser la médiation à l’une des parties qui la revendique comme un droit légitime, va d’ores et déjà à l’encontre de l’objectif déclaré. Le droit doit-il faire le jeu de la partie en adversité, qui débordée par ses émotions, n’a pas ou peu conscience des conséquences de ses choix, ou doit-on lui permettre dès le début du conflit, de réfléchir rationnellement, accompagnée par un professionnel de la relation, un médiateur dûment formé dans cette perspective nouvelle ?
Plus encore, si l’on pense la médiation comme voie résolutoire des conflits, on ne peut que faciliter cette voie qui ne présente à l’évidence que des avantages, comme régulièrement rappelés par la CECMC. Dans le litige ci-dessus exposé, reconnaissons que la médiation aurait évité une bonne dizaine d’années de contentieux ! Celle-ci aurait sans doute permis de restaurer la relation permettant le dialogue, et conséquemment, l’entente par laquelle s’élabore un projet commun de résolution de conflit.
Quelles sont les conséquences du principe d’empêcher le professionnel de préconiser la médiation comme moyen préalable à toute action judiciaire ?
Rejeter le droit à la médiation revendiqué par le professionnel, c’est susciter une inégalité entre le consommateur et celui-ci, seul le premier ayant le choix. Le professionnel n’a qu’une option : subir un choix, celui du consommateur qui guidé par ses émotions, n’aura pas le discernement et la conscience suffisante pour décider au mieux de ses propres intérêts.
Il est urgent que le législateur privilégie cohérence des textes plutôt que multiplicité, d’autant plus s’il souhaite être en accord avec la politique européenne : depuis un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne admet la faculté, pour les états membres, de rendre obligatoire la médiation de la consommation avant la saisine d’un juge sous réserve de certaines conditions.
Alors qu’attend le législateur français pour être cohérent et abonder dans le sens d’une médiation obligatoire ou, ce qui revient au même, un droit à la médiation revendiqué par l’une des parties au titre d’une clause de médiation, plus largement, avant toute saisine judiciaire ?
Vouloir changer de paradigme, ne peut s’envisager qu’en élaborant un projet avec les acteurs de terrain que sont les médiateurs, pour une réflexion en profondeur sur les objectifs à atteindre, les moyens à disposition et à déployer. Cela peut commencer par une réflexion sur le paradigme de référence. « A considérer les deux modèles, le judiciaire et la médiation interviennent bien sur des problématiques de même nature, mais ne consistent pas du tout dans la même démarche ni n’aboutissent aux mêmes résultats. Là où l’un tranche par substitution, l’autre tisse par implication. D’un côté le paradigme du contrat social, de l’autre celui de l’entente et de l’entente sociale » . Les médiateurs professionnels, forts d’une expérience de plus de 20 ans, sont soucieux de transmettre leur savoir-faire. La balle est dans le camp des politiques, et comme on saura le lire, pas seulement dans l’environnement judiciaire…


« Notre maison brûle » alertait récemment dans Dalloz actualité l’un des avocats conseil de Solidarité laïque avant de décrire comment la laïcité « était prise à la gorge dans nos écoles par les islamistes ». Il ajoutait ensuite, « la laïcité est difficile à définir, mais on connaît un de ses fondements la tolérance ». En vérité, la laïcité n’est pas difficile à définir et la tolérance n’est pas son fondement, nous allons le montrer. Mais elle souffre, on le voit bien, d’une double et dramatique ignorance. D’abord ceux qui prétendent lui être attachés et sonnent l’alarme, rendent sa défense impossible, faute d’arriver à la définir. Du coup, elle est perçue par d’autres comme un catéchisme répétitif, un corset vide de sens, voire comme un régime de discriminations, c’est-à-dire rien de ce qu’elle est.
Or, son appropriation par le plus grand nombre des citoyens me semble être, pour la laïcité, le premier instrument de sa défense efficace et légitime. En voici donc une définition et une explication, fondées sur l’histoire.
La laïcité c’est d’abord du droit. On peut penser un objet en tant que philosophe, historien, sociologue. Mais lorsque la loi et particulièrement la loi pénale s’en saisit, c’est autour de son texte et de sa jurisprudence que doit s’organiser le débat. En rupture avec le Concordat qui avait établi des cultes reconnus, la loi du 9 décembre 1905, « concernant la séparation des Églises et de l’État », a assis cette séparation sur des principes qui la justifient et structurent le droit français de la laïcité. Lisons ensemble cet article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
La liberté de conscience est d’abord sans limite d’ordre public. Elle est absolue. Que signifie ensuite le libre exercice des cultes ? Jusqu’à très récemment, ce terme était interprété par le bureau des Cultes du ministère de l’Intérieur ou le ministère de la Justice comme la possibilité de se rendre sur un lieu de culte – église, temple, synagogue, mosquée – pour le pratiquer. Ce n’est pourtant pas ce que signifie ce terme.
Interrogé en effet le 12 avril 1905 à la chambre des députés, le rapporteur de la loi, Aristide Briand apportait cette précision décisive : « par la deuxième partie de l’article 1er, la République, envisageant les manifestations extérieures des croyances et des religions, qui constituent l’exercice des cultes s’engage à en garantir la pleine et entière liberté. Nous n’employons pas arbitrairement le mot « cultes » ; nous l’avons choisi parce qu’il est le mot approprié, le mot juridiquement consacré »1. Par qui ce terme avait-il été « juridiquement consacré » ? Par les tribunaux en charge d’appliquer avant 1905 un article – 260 – du code pénal qui précisait alors que « Tout particulier qui, par des voies de fait ou des menaces, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes d’exercer l’un des cultes autorisés, …sera puni pour ce seul fait d’une amende de 16 francs à 200 francs, et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ».
La jurisprudence qui découlait de l’application de cet article précisait alors que « la faculté pour chaque individu d’admettre ou de repousser dans le for intérieur telle ou telle croyance religieuse s’appelle la liberté de conscience », tandis que « la faculté pour chaque individu de pratiquer sa croyance ou, en d’autres termes d’exercer par des actes extérieurs le culte qu’il a choisi s’appelle liberté des cultes »2.
Le terme « exercice » des cultes a donc trait à toute manifestation extérieure de la foi, bien au-delà du rassemblement des fidèles. Le port individuel d’un signe extérieur manifestant sa foi – une croix, une kippa, un voile – ou la conformation à des obligations culinaires participent donc de l’exercice d’un culte. L’article 260 du code pénal qui avait inspiré la terminologie de l’article 1 la loi de 1905 a d’ailleurs quitté le code pénal pour devenir l’article 31 de la nouvelle loi3. Et la liaison entre l’article 1 et l’article 31 a été faite par le principal rédacteur de la loi, et du rapport de Briand, Louis Méjan.
Commentant l’article 1 de la loi de 1905, Méjan écrit que la loi « assure aussi et sanctionne la liberté de conscience dans les rapports des citoyens entre eux. C’est la raison et l’objet de l’article 31, (…) cet article fait un délit du (…) fait d’avoir déterminé, par une pression autre que la libre persuasion, une personne à professer ou à ne pas professer un culte »4.
Ce lien direct entre l’article 1 principiel et l’article 31 a été malencontreusement oublié au fil des décennies. Il convient de le rétablir, d’abord intellectuellement pour dire que « la laïcité est donc et d’abord le droit de croire ou de ne pas croire, sans pression. »
Quid ensuite de l’article 2 ? « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Voilà donc supprimés des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes5. La loi rompt par là avec le concordat, le régime des cultes reconnus, qui avait permis le développement du pluralisme religieux6, mais qui, en assurant la rémunération des clergés catholique, protestant, et juif liait l’État à des religions et des religions à l’État. Cet article de séparation instaure la neutralité de l’État à l’égard de toutes les religions, y compris l’Islam, directement concerné, la loi étant censée s’appliquer à l’Algérie7.
Quel est le motif de cette neutralité instaurée ? Lisons encore Méjan : « On ne peut logiquement concevoir la liberté de conscience et des cultes sans la neutralité absolue de l’État » car, explique Méjan, « Il n’y a pas de véritable liberté là où n’existe pas une entière égalité pour tous sous la protection de la loi. L’État qui protège ou qui salarie certains cultes met les autres dans une situation d’infériorité légale et, représentant de l’universalité des citoyens, viole le droit des incroyants » conclut-il8.
Après la liberté proclamée et protégée de toute pression, l’égalité des citoyens est l’objectif de la neutralité de l’État que permet sa séparation d’avec toute religion.
Du coup s’instaurent quatre types d’espaces régis par des règles différentes :
– l’espace de l’État et des autorités publiques où la laïcité française décrète la neutralité absolue : pas d’expression officielle de la religion dans ces espaces, ni sur les bâtiments publics, ni par les fonctionnaires ;
– l’espace religieux des lieux affectés à l’exercice collectif du culte : là c’est la « loi » de chaque religion qui s’applique à l’église, au temple, à la synagogue, ou à la mosquée ;
– l’espace privé, le domicile dans lequel chacun édicte ses règles ;
– et puis il y a ce qu’on nomme de façon un peu confuse, l’espace public, c’est-à-dire l’espace de la société qui est peu réglementé, en tout cas pas du point de vue de l’expression religieuse, et se trouve par conséquent soumis aux plus fortes tensions d’interprétation et de régulation.
Dans ces espaces déterminés par des règles différentes, c’est, après la liberté et l’égalité, la fraternité qui doit prévaloir. De la liberté sans pression et de l’égal traitement par l’État de tous les citoyens découle en effet une conséquence importante : nous vivons chacun au milieu de concitoyens qui ne partagent pas les mêmes convictions spirituelles que nous.
Dans la mesure où le règlement de chaque espace le permet, cette diversité peut se vivre et se formuler par exemple dans l’aménagement des menus offerts dans les cantines scolaires.
Il y a cependant des cas où la fraternité est impossible, parce que la pression existe et que le dialogue est impuissant à la neutraliser. Il faut alors intervenir. C’est ce qu’a proposé la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité, dite « commission Stasi », du nom de son président Bernard Stasi, mise en place le 3 juillet 2003 par Jacques Chirac Après avoir reçu des témoignages de proviseurs, principaux et enseignants de lycées et collèges. La commission – dont j’étais membre – a constaté que, dans les cours de récréation des lycées et collèges publics, des groupes de garçons exerçaient des pressions sur des jeunes filles qu’ils percevaient comme musulmanes et qui ne portaient pas le voile9. Dans l’esprit de ces groupes, puisque le port du voile était autorisé, les jeunes filles qui ne le portaient pas le faisaient par choix. Ne fallait-il pas directement viser les individus et groupes qui exerçaient des pressions ? Notre sentiment quasi unanime (à l’exception d’un membre) était que nous avions affaire à une réalité souvent bien perçue à un niveau local et beaucoup moins au plan national : porter le voile ou l’imposer aux autres était devenu un sujet non pas de liberté individuelle mais de stratégie nationale de la part de groupes fondamentalistes utilisant les écoles publiques comme leur principal champ de bataille10.
C’est pourquoi nous avons proposé d’interdire les signes extérieurs – c’est-à-dire ostensibles, ceux que l’on ne peut dissimuler sous un vêtement – d’appartenance religieuse (incluant la kippa des juifs et les grandes croix chrétiennes), en veillant au respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette Convention autorise la limitation de l’expression de la foi religieuse dans le cas de problèmes d’ordre public ou d’attaques des droits ou de la liberté de conscience d’autrui, en requérant, pour une telle limitation, une loi, et que la restriction soit proportionnelle au but à atteindre. C’est pourquoi la loi du 15 mars 2004 interdit les signes religieux ostensibles et non ceux qui sont discrets11. C’est la raison pour laquelle l’interdiction s’applique seulement dans les écoles publiques, offrant ainsi des alternatives aux jeunes filles qui veulent porter le voile : la possibilité d’étudier dans des écoles privées sous contrat. Dans le cas des écoles publiques, l’État est donc intervenu par une interdiction générale pour empêcher des pressions et ainsi permettre que soit respectée la liberté de conscience de chacun.
Partout ailleurs, et dans tous les espaces, car la loi pénale ne connait pas ces frontières, il pourrait faire prévaloir la liberté de conscience, quand elle subit des pressions. Mais les autorités aujourd’hui comme hier continuent d’ignorer l’article 31 de la loi de 1905, qui punit d’amende, voire de prison, les auteurs de pression. Cet article jamais appliqué devrait l’être : les pressions existent, et c’est le devoir de l’État d’en protéger tous les citoyens12.
Cet article 31 a également une vertu pédagogique très forte. Quand il m’arrive d’aller parler à des élèves d’un collège ou d’un lycée, je peux leur dire :
« Vos parents vous ont transmis leur croyance ou leur non-croyance par rapport à l’existence de Dieu. Et vous, vous avez le droit de faire maintenant votre chemin par vous-même, en toute liberté. Avant tout vous avez une liberté de conscience et la loi vous protège. Si une personne fait pression sur vous, où que ce soit, où que vous soyez, elle peut avoir une forte amende, et même aller en prison. Comme vous-même, si vous faites pression sur quelqu’un d’autre ».
Il faut que chaque enfant prenne conscience de son droit à une liberté intérieure par rapport à l’existence ou pas de Dieu et son appartenance ou non à une religion. Il peut aussi comprendre immédiatement que cette liberté a pour contrepartie la liberté des autres. Pour expliquer ces choses-là, ces questions auxquelles doivent répondre encore aujourd’hui les professeurs, toujours et souvent démunis cinq ans après les attentats de Charlie Hebdo et de l’hypermarché casher, Bibliothèques sans frontières, dont je suis le président, a fait une websérie de dix vidéos, qu’on trouve sur questions-reponses-laicite.fr. Pour faire ces vidéos, nous sommes partis des principales questions posées par les élèves, qu’on a rassemblées dans les collèges et les lycées, de leurs interrogations. Elles sont le complément des quelques explications que j’ai essayé de fournir dans cet article.
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