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Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

Délit de séparatisme, encadrement de l’instruction en famille, contrat d’engagement républicain pour les associations, lutte contre la haine en ligne, meilleure transparence des cultes …Voici quelques-unes des mesures phares de la loi qui a pour objectif de lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté.

L’État et la laïcité

Dans les décennies qui ont suivi la loi du 9 décembre 1905, le principe de laïcité a été appliqué en France d’une façon spécifique tout en faisant l’objet d’un large consensus. Il semblait avoir trouvé son point d’équilibre et éteint les controverses. La réaffirmation du religieux dans l’espace public suscite à nouveau des débats passionnés

La loi s’inscrit dans la suite des discours du président de la République prononcés lors du 150e anniversaire de la République le 4 septembre 2020 et aux Mureaux le 2 octobre 2020. Elle entend apporter des réponses au repli communautaire et au développement de l’islamisme radical, en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes.

Le respect des principes républicains

La laïcité et la neutralité des services publics

Pour renforcer la laïcité et la neutralité, le texte énonce, comme les juges l’ont déjà reconnu, que ces principes s’appliquent aux salariés des titulaires de contrats de marché public, des concessionnaires, des bailleurs sociaux et des organismes qui ont une mission de service public (SNCF réseau, RATP, Aéroports de Paris, sociétés HLM…).

Sur amendement des parlementaires, un référent laïcité et une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année seront mis en place dans les administrations.

Le contrôle sur les actes des collectivité locales qui porteraient gravement atteinte à la laïcité ou à la neutralité dans un service public (cantines, équipement sportifs…) est revu. Le préfet pourra déférer l’acte et en demander la suspension au juge administratif, qui aura 48 heures pour décider.

Un nouveau délit de séparatisme vient protéger les élus et agents publics contre les menaces ou violences pour obtenir une exemption ou une application différenciée des règles du service public. Les agents publics pourront, par ailleurs, signaler via le dispositif d’alerte existant les menaces ou atteintes à l’intégrité physique dont ils sont victimes. En réponse à l’assassinat terroriste de l’enseignant Samuel Paty, les députés ont créé un délit d’entrave à la fonction d’enseignant.

Les associations et le nouveau contrat d’engagement républicain

Les associations ou fondations, qui demandent une subvention publique, devront s’engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité…) dans un « contrat d’engagement républicain ». Si elles violent cette obligation, la subvention devra être remboursée. Le respect du contrat devient une condition pour l’obtention d’un agrément ou la reconnaissance d’utilité publique.

Dans une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que le retrait de la subvention ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’association, conduire à la restitution de sommes versées au titre d’une période antérieure au manquement au contrat d’engagement.

Le contrôle par l’État des associations sportives et des fédérations sportives est renforcé. Les associations agréées seront aussi soumises au contrat d’engagement républicain.

La liste des motifs de dissolution des associations est complétée. Les associations pourront se voir imputer des agissements commis par leurs membres, agissant en cette qualité, ou des agissements directement liés à leurs activités. Le texte voté par le Parlement prévoyait, qu’en cas d’urgence, le ministre de l’intérieur pouvait prononcer la suspension d’une association, dans l’attente de sa dissolution. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition. Il a considéré qu’en permettant la suspension des activités d’une association faisant l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en cas d’urgence et à titre conservatoire, pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois, cette disposition portait atteinte à la liberté d’association.

Les fonds de dotation, outil de financement du mécénat, seront mieux contrôlés par les préfets. L’administration fiscale pourra vérifier que seules les associations qui remplissent les conditions prévues par la loi peuvent bénéficier de la générosité du public et délivrer des reçus fiscaux.

À l’initiative des députés, les financements étrangers reçus par les associations loi 1901 qui touchent plus de 153 000 euros de dons par an et par les fonds de dotation seront contrôlés.

Un nouveau délit face à la haine en ligne

Un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle est créé. Ce nouveau délit sera puni de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende si la victime est un agent public, un élu ou un journaliste ou si elle est mineure. Une garantie spécifique pour la presse a été apportée par le Sénat.

Afin de lutter contre les sites miroirs qui reprennent des contenus illicites déréférencés ou bloqués par la justice, une nouvelle procédure est mise en place. Ces dispositions étaient prévues par un article de la loi dite Avia du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, en grande partie censurée par le Conseil constitutionnel.

La comparution immédiate est désormais prévue pour les délits de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (provocations publiques à la haine ou à la violence, négationnisme…). Cette procédure rapide de jugement ne concernera pas les contenus contrôlés par des directeurs de publication de presse (régime de la responsabilité en cascade). Il s’agit de sanctionner les abus les plus graves et manifestes à la liberté d’expression, favorisés par les réseaux sociaux.

Un nouveau régime de modération des contenus en ligne

Le gouvernement par amendement, a anticipé partiellement le futur règlement européen « Digital Services Act « . Un nouveau régime de modération des contenus illicites est imposé – jusqu’à la fin 2023 – aux plateformes en ligne (procédures de traitement des demandes judiciaires, information du public sur le dispositif de modération, évaluation des risques…). Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) devra superviser les processus de modération mis en place par les réseaux sociaux, plateformes de partage de vidéos, moteurs de recherche… et pourra prononcer des sanctions financières (jusqu’à 20 millions d’euros ou 6% du chiffre d’affaires mondial).

L’instruction des enfants et les mesures sur la famille

La scolarisation de tous les enfants dans un établissement scolaire devient obligatoire à la rentrée 2022 (au lieu de la rentrée 2021 dans le texte initial) et l’instruction d’un enfant en famille dérogatoire. L’école à la maison sera soumise à autorisation (et non plus seulement à déclaration) et accordée uniquement pour quatre motifs :

  • état de santé ou handicap de l’enfant ;
  • pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
  • itinérance de la famille ;
  • situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif. 

Une autorisation de plein droit jusqu’en 2023-2024 a été prévue par les députés pour les familles pratiquant déjà l’instruction en famille dans des conditions satisfaisantes.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur les seuls critères définis par la loi, excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit.

Les écoles privées hors contrat devront répondre à de nouvelles obligations. Un régime de fermeture administrative des écoles non déclarées ou qui n’ont pas remédié aux défaillances constatées par l’administration est créé. Sur amendement du gouvernement, le préfet pourra s’opposer à l’ouverture d’écoles hors contrat soutenues par un État étranger hostile à la République.

Pour assurer aux femmes une égalité de droits, le texte renforce la protection des héritiers réservataires sur les bien situés en France lorsque la succession relève d’une loi étrangère qui ne reconnait pas l’égalité des enfants héritiers. Il traite aussi de la polygamie sous l’angle des titres de séjour et des pensions de réversion et renforce la lutte contre les mariages forcés. En cas de suspicion, l’officier de l’état civil devra s’entretenir individuellement avec chaque futur époux. Si des doutes persistent, il devra saisir le Parquet.

Le texte prévoyait aussi qu’un titre de séjour pouvait être refusé ou retiré à un étranger s’il est établi qu’il a manifesté un rejet des principes de la République. Le Conseil constitutionnel a censuré cet article, en raison de son imprécision.

La délivrance de certificats de virginité devient interdite et sera punie d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Un amendement des parlementaires prévoit aussi de punir le fait de contraindre une personne à se soumettre à un tel certificat.

Le contrôle des associations cultuelles et des lieux de culte

La loi modifie la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes.

Les conditions de création et de gouvernance des associations gérant un lieu de culte prévues par la loi de 1905 sont revues afin de les protéger des prises de contrôle malveillantes par des groupes radicaux (clause dite anti-putsch). Ces associations cultuelles devront se déclarer auprès du préfet tous les cinq ans. Leurs obligations comptables sont renforcées. Les dons étrangers de plus de 10 000 euros et la cession de lieux de culte à un État étranger devront être déclarés. Le préfet pourra s’y opposer lorsqu’un intérêt fondamental de la société est en jeu.
Pour plus d’autonomie financière, ces associations pourront détenir et exploiter des immeubles de rapport acquis par legs ou don. Un amendement des députés plafonne à 50% les ressources annuelles qui pourront être tirées de tels immeubles.

Un amendement du gouvernement dit « mosquée de Strasbourg » renforce la transparence sur les avantages accordés par les collectivités locales pour la construction de lieux de culte. Les communes et départements devront informer préalablement le préfet, avant toute garantie publique pour un emprunt destiné à la construction d’un édifice cultuel, ou la conclusion d’un bail emphytéotique (bail de longue durée).

Pour les associations dites mixtes, qui relèvent de la loi du 1er juillet 1901 et qui exercent un culte, leurs obligations, notamment administratives et comptables, sont alignées sur celles des associations cultuelles : certification dans certains cas de leurs comptes, distinction comptable de leurs activités cultuelles du reste de leurs activités, déclaration de l’argent provenant de l’étranger… Le préfet pourra enjoindre à une association dont l’objet est en réalité l’exercice d’un culte à se déclarer comme association cultuelle. Aujourd’hui, plus de 90% des mosquées sont sous le régime de loi de 1901.

Des dispositions traitent aussi des associations inscrites à objet cultuel d’Alsace-Moselle.

La loi modifie la loi du 9 décembre 1905 sur la police des cultes. La peine en cas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commise par un ministre des cultes est portée à cinq ans de prison. La tenue de réunions politiques dans des lieux de culte est plus sévèrement sanctionnée. L’organisation d’opérations de vote pour des élections politiques françaises ou étrangères y est clairement prohibée. Le juge pourra, par ailleurs, interdire à une personne coupable d’un délit à la police des cultes de paraître dans les lieux de cultes. Le préfet pourra fermer provisoirement les lieux de culte en cas d’agissements provoquant à la haine ou à la violence.

LOI n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République



Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021

Loi confortant le respect des principes de la République

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
  • le code de l’éducation ;
  • le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
  • le code pénal ;
  • le code des relations entre le public et l’administration ;
  • le code de la sécurité intérieure ;
  • la loi du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire ;
  • la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 6 août 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi confortant le respect des principes de la République. Les députés auteurs de la première saisine contestent la procédure d’adoption de la loi, ainsi que la procédure d’adoption et certaines dispositions de son article 49. Les députés auteurs de la deuxième saisine contestent ses articles 12 et 26 et certaines dispositions de ses articles 9, 15, 16 et 36. Les sénateurs requérants contestent également certaines dispositions de son article 49.

– Sur la procédure d’adoption de l’ensemble de la loi :

2. Les députés auteurs de la première saisine soutiennent que les conditions d’adoption de la loi déférée auraient méconnu le droit d’amendement et « le bon déroulement du débat démocratique », au motif que de nombreux amendements, et en particulier cinq d’entre eux, auraient été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution alors qu’ils présentaient un lien, au moins indirect, avec le projet de loi initial.

3. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

4. Il résulte de la combinaison de l’article 6 de la Déclaration de 1789, du premier alinéa des articles 34 et 39 de la Constitution, ainsi que de ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1, que le droit d’amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s’exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées. Il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et sous réserve du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité, notamment par la nécessité, pour un amendement, de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis.

5. La circonstance, à la supposer établie, qu’au moins cinq des « nombreux amendements » déclarés irrecevables devant la commission spéciale en première lecture à l’Assemblée nationale l’auraient été à tort, est, en tout état de cause, insusceptible d’avoir porté une atteinte substantielle à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire, eu égard au contenu de ces amendements, au stade de la procédure auquel leur a été opposée l’irrecevabilité et aux conditions générales du débat.

6. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance du droit d’amendement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doivent être écartés.

7. Il résulte de ce qui précède que la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 9 :

8. L’article 9 de la loi déférée insère au sein du code pénal un article 433-3-1 visant à réprimer le fait « d’user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d’obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».

9. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que l’infraction créée par ces dispositions permettrait de réprimer des faits déjà susceptibles de l’être sous la qualification prévue par le dernier alinéa de l’article 433-3 du code pénal. Il en résulterait une incertitude juridique qui permettrait aux autorités de poursuite de choisir discrétionnairement l’une ou l’autre de ces incriminations, en méconnaissance des principes de clarté de la loi et d’égalité devant la loi pénale.

10. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente.

11. L’incrimination créée par les dispositions contestées a pour objet de réprimer d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait, par des menaces, violences ou tout autre acte d’intimidation, de chercher à obtenir d’une personne participant à l’exécution d’une mission de service public, pour soi-même ou pour autrui, une exemption ou une application différenciée des règles de fonctionnement de ce service.

12. Le dernier alinéa de l’article 433-3 du code pénal punit de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait d’user de menaces ou de violences, ou de commettre tout autre acte d’intimidation pour obtenir d’une personne investie d’un mandat électif public ou exerçant l’une des fonctions mentionnées aux trois premiers alinéas de ce même article « soit qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat, soit qu’elle abuse de son autorité vraie ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».

13. Si les dispositions contestées répriment des faits susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’incrimination prévue au dernier alinéa de l’article 433-3, ces deux incriminations se différencient tant au regard de l’intention particulière exigée de l’auteur des faits que des personnes qui sont l’objet des menaces, violences ou autres actes d’intimidation. En outre, le législateur a expressément prévu que l’incrimination prévue au dernier alinéa de l’article 433-3 ne s’appliquerait pas aux faits incriminés par les dispositions contestées.

14. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale doit être écarté.

15. Par conséquent, le premier alinéa de l’article 433-3-1 du code pénal, qui ne méconnaît pas non plus l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur l’article 12 :

16. L’article 12 insère au sein de la loi du 12 avril 2000 mentionnée ci-dessus un article 10-1 prévoyant que toute association ou fondation sollicitant l’octroi d’une subvention publique doit souscrire un contrat d’engagement républicain.

17. Les députés auteurs de la deuxième saisine critiquent le caractère imprécis des obligations que ces associations doivent s’engager à respecter et le renvoi à un décret en Conseil d’État de la détermination des modalités d’application de ces dispositions. Ils estiment par ailleurs que cette imprécision serait de nature à conférer aux autorités compétentes un pouvoir d’appréciation arbitraire pour attribuer des subventions publiques ou en exiger le remboursement en cas de non-respect du contrat d’engagement. Il en résulterait une méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence, de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ainsi que de la liberté d’association.

18. En premier lieu, il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. Le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.

19. Les dispositions contestées soumettent toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé d’un service public industriel et commercial à l’obligation de souscrire un contrat d’engagement républicain. Elles prévoient que l’autorité ou organisme refuse cette subvention ou procède à son retrait lorsque l’objet de l’association ou de la fondation, son activité ou les modalités d’exercice de celle-ci sont illicites ou incompatibles avec le contrat d’engagement républicain.

20. Il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que les obligations prévues au titre de ce contrat sont celle de respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, c’est-à-dire l’emblème national, l’hymne national et la devise de la République, celle de ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République et, enfin, celle de s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public. Il résulte des travaux parlementaires que cette dernière obligation vise les actions susceptibles d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques. Dès lors, le législateur a défini précisément les obligations prévues par le contrat d’engagement républicain.

21. Les griefs tirés de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi doivent donc être écartés.

22. En second lieu, la liberté d’association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution. En vertu de ce principe, les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable.

23. L’obligation faite à une association de souscrire un contrat d’engagement républicain lorsqu’elle sollicite une subvention publique n’a pas pour objet d’encadrer les conditions dans lesquelles elle se constitue et exerce son activité.

24. En revanche, l’obligation de restituer des subventions publiques déjà versées est susceptible d’affecter les conditions dans lesquelles une association exerce son activité.

25. Les dispositions contestées prévoient que, en cas de manquement au contrat d’engagement, il est procédé au retrait de la subvention publique, à l’issue d’une procédure contradictoire, sur décision motivée de l’autorité ou de l’organisme, et qu’un délai de six mois est imparti à l’association pour restituer les fonds qui lui ont été versés. Toutefois, ce retrait ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’association, conduire à la restitution de sommes versées au titre d’une période antérieure au manquement au contrat d’engagement.

26. Dès lors, sous la réserve figurant au paragraphe précédent, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’association doit être écarté.

27. Il résulte de ce qui précède que, sous la même réserve, l’article 10-1 de la loi du 12 avril 2000, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 15 :

28. L’article 15 complète notamment l’article 25-1 de la loi du 12 avril 2000 afin d’ajouter aux conditions générales de délivrance d’un agrément des associations une condition tenant au respect des principes du contrat d’engagement républicain introduit à l’article 10-1 de la même loi par l’article 12 de la loi déférée.

29. Les députés auteurs de la deuxième saisine font valoir que, en raison du caractère imprécis des obligations résultant du contrat d’engagement, ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative et méconnaîtraient l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

30. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au paragraphe 20, ces griefs doivent être écartés.

31. Par conséquent, le 4 ° de l’article 25-1 de la loi du 12 avril 2000, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 16 :

32. Le paragraphe I de l’article 16 de la loi modifie l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qui détermine les cas dans lesquels une association ou un groupement de fait peut faire l’objet d’une décision administrative de dissolution. Il insère dans ce code un nouvel article L. 212-1-1 prévoyant que peuvent être imputés à l’association ou au groupement de fait certains agissements commis par ses membres. Il y insère également un nouvel article L. 212-1-2 afin de permettre la suspension, à titre conservatoire, de ses activités.

. En ce qui concerne la dissolution administrative des associations ou groupements de fait :

33. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à ces dispositions de prévoir un nouveau motif de dissolution tenant à la provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes, mais aussi des biens. En outre, ils considèrent que ces dispositions, en permettant de dissoudre les associations et groupements de fait à raison d’agissements commis par un ou plusieurs de leurs membres, introduiraient une présomption de responsabilité du fait d’autrui contraire aux « principes gouvernant la responsabilité pénale des personnes morales ». Selon eux, ces dispositions entraîneraient ainsi « des restrictions disproportionnées » à l’exercice de la liberté d’association.

34. La liberté d’association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution. Les atteintes portées à cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

35. L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit les cas dans lesquels une association ou un groupement de fait peut être dissous. Les dispositions contestées ajoutent au 1 ° de cet article un nouveau motif de dissolution tenant à la provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens. Le nouvel article L. 212-1-1 prévoit par ailleurs les conditions dans lesquelles une association ou un groupement de fait peut être dissous en raison d’agissements commis par un ou plusieurs de leurs membres.

36. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

37. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne prévoient la dissolution que d’associations ou groupements de fait dont les activités troublent gravement l’ordre public. D’une part, elles visent uniquement les associations ou groupements de fait qui provoquent à la commission d’agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens. D’autre part, elles ne permettent d’imputer aux associations et groupements de fait les agissements de leurs membres que lorsqu’ils les ont commis en cette qualité ou que ces agissements sont directement liés aux activités de l’association ou du groupement, et que leurs dirigeants, bien qu’informés, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient.

38. En troisième lieu, la décision de dissolution est prise par décret du Président de la République. En application des articles L. 122-1 et L. 211-2 et du code des relations entre le public et l’administration, cette décision doit être écrite et motivée et ne peut intervenir qu’après que l’association ou le groupement, assisté ou représenté le cas échéant par un conseil ou un mandataire, a été mis à même de présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales.

39. En dernier lieu, une telle décision peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, y compris par la voie du référé, qui s’assure qu’elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité de sauvegarde de l’ordre public poursuivie, eu égard à la gravité des troubles susceptibles de lui être portés par les associations et groupements de fait visés.

40. Dès lors, il résulte de ce qui précède que le législateur n’a pas porté à la liberté d’association une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

41. Par ailleurs, la dissolution administrative d’une association ou d’un groupement de fait constitue une mesure de police administrative et non une sanction ayant le caractère d’une punition. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de personnalité des peines doit donc être écarté comme inopérant.

42. Par conséquent, les mots « agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » figurant au 1 ° de l’article L. 212-1 et l’article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne la décision de suspension des activités d’une association ou d’un groupement de fait :

43. Les députés auteurs de la deuxième saisine dénoncent le caractère excessif de la procédure de suspension, introduite par les dispositions contestées, qui méconnaîtrait la liberté d’association.

44. Le nouvel article L. 212-1-2 permet au ministre de l’intérieur de prononcer la suspension des activités d’une association ou d’un groupement de fait faisant l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en cas d’urgence et à titre conservatoire, pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois. Elle porte ainsi atteinte à la liberté d’association.

45. Or, en permettant au ministre de l’intérieur de prendre une telle décision pour une durée pouvant atteindre six mois dans l’attente d’une décision de dissolution, ces dispositions ont pour objet de suspendre les activités d’une association dont il n’est pas encore établi qu’elles troublent gravement l’ordre public. Il résulte d’ailleurs des travaux préparatoires que cette décision de suspension vise à permettre aux autorités compétentes de disposer du temps nécessaire à l’instruction du dossier de dissolution.

46. Dès lors, en permettant de prendre une telle décision, sans autre condition que l’urgence, le législateur a porté à la liberté d’association une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

47. Par conséquent, il résulte de ce qui précède que les troisième et quatrième alinéas du 3 ° du paragraphe I de l’article 16 sont contraires à la Constitution.

– Sur l’article 26 :

48. L’article 26 modifie plusieurs articles du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de subordonner le séjour d’un étranger en France à l’absence de manifestation d’un rejet des principes de la République.

49. Les députés auteurs de la deuxième saisine considèrent que, au regard de l’imprécision de l’expression « principes de la République » et de l’absence de critères permettant de caractériser la manifestation d’un rejet de ces principes, ces dispositions méconnaîtraient le principe de clarté de la loi et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Ils font valoir également que ces dispositions, de par leur caractère équivoque, ne préviendraient pas « le risque de décisions administratives ou juridictionnelles arbitraires » et méconnaîtraient, de ce fait, la liberté d’aller et venir, la liberté individuelle et le droit à une vie de famille normale.

50. Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Le législateur peut ainsi mettre en œuvre les objectifs d’intérêt général qu’il s’assigne. Dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux.

51. Toutefois, si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. S’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent, parmi ces droits et libertés, notamment la liberté d’aller et venir et le droit de mener une vie familiale normale.

52. L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi.

53. Les dispositions contestées prévoient que la délivrance ou le renouvellement de tout titre de séjour peut être refusé à un étranger s’il est établi qu’il a manifesté un rejet des principes de la République. Ce même motif peut également fonder le retrait d’un titre de séjour.

54. Toutefois, s’il est loisible au législateur de prévoir des mesures de police administrative à cette fin, il n’a pas, en faisant référence aux « principes de la République », sans autre précision, et en se bornant à exiger que la personne étrangère ait « manifesté un rejet » de ces principes, adopté des dispositions permettant de déterminer avec suffisamment de précision les comportements justifiant le refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ou le retrait d’un tel titre.

55. Dès lors, les dispositions contestées méconnaissent l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 26 est contraire à la Constitution.

– Sur certaines dispositions de l’article 36 :

56. L’article 36 insère au sein du code pénal un article 223-1-1 qui réprime « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

57. Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent à l’infraction créée par ces dispositions d’inclure toute forme de moyens de communication et de permettre, eu égard à son objet et au contexte dans lequel elle aurait vocation à s’appliquer, de faire obstacle aux investigations de journalistes, notamment lorsqu’ils filment les forces de l’ordre dans le cadre de manifestations. Il en résulterait une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines et de la liberté d’expression. Ils estiment en outre que ce délit porterait atteinte au principe de proportionnalité des peines en punissant de la même manière les risques d’atteinte aux personnes et aux biens.

58. Selon l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.

59. L’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue.

60. En premier lieu, le délit prévu par le premier alinéa de l’article 223-1-1 du code pénal est constitué lorsque plusieurs éléments sont réunis. D’une part, l’auteur doit révéler, diffuser ou transmettre, par tout moyen, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne qui permettent soit de l’identifier, soit de la localiser. D’autre part, la divulgation de ces informations doit être effectuée dans le but d’exposer cette personne ou les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à leur vie ou à leur intégrité ou encore à leurs biens. Dès lors, cette infraction est définie, tant dans son élément matériel que dans son élément moral, en termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits et des peines.

61. En second lieu, en punissant de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende la divulgation intentionnelle d’informations permettant d’identifier ou de localiser une personne en vue de l’exposer ou les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à leur propre personne ou à leurs biens, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature du comportement réprimé. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

62. Par conséquent, le premier alinéa de l’article 223-1-1 du code pénal, qui ne méconnaît pas non plus la liberté d’expression et de communication ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur l’article 49 :

. En ce qui concerne la procédure d’adoption de l’article 49 :

63. Les députés auteurs de la première saisine critiquent l’insuffisance de l’étude d’impact jointe au projet de loi, qui n’aurait pas comporté d’indications suffisantes sur les objectifs poursuivis par le présent article.

64. Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l’article 39 de la Constitution : « La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. – Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ». Aux termes du premier alinéa de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus : « Les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact. Les documents rendant compte de cette étude d’impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent ». Selon le premier alinéa de l’article 9 de la même loi organique, la Conférence des présidents de l’assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d’un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles relatives aux études d’impact sont méconnues.

65. Le projet de loi a été déposé le 9 décembre 2020 sur le bureau de l’Assemblée nationale. La Conférence des présidents n’a été saisie d’aucune demande tendant à constater que les règles relatives aux études d’impact étaient méconnues. Dès lors, le grief tiré de ce que l’étude d’impact jointe au projet de loi n’aurait pas respecté l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 ne peut qu’être écarté.

. En ce qui concerne certaines dispositions de l’article 49 :

66. L’article 49 de la loi modifie notamment l’article L. 131-5 du code de l’éducation qui détermine les conditions dans lesquelles l’instruction obligatoire peut être dispensée en famille.

67. Les députés auteurs de la première saisine et les sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe fondamental reconnu par les lois de la République de liberté de l’enseignement, dont l’instruction en famille serait une composante depuis sa reconnaissance par la loi du 28 mars 1882. Au soutien de ce grief, ils reprochent tout d’abord à ces dispositions de soumettre désormais la possibilité d’instruction en famille à un régime d’autorisation préalable en lieu et place d’un régime de simple déclaration. Ils font valoir ensuite que ces dispositions ne seraient pas nécessaires dès lors que l’objectif poursuivi est imprécis et qu’il est toujours possible à l’autorité administrative d’opérer des contrôles a posteriori de l’instruction en famille. Ils estiment enfin que ces dispositions ne prévoiraient pas que la demande d’autorisation d’instruction en famille puisse être motivée par des convictions politiques, religieuses ou philosophiques. Les sénateurs soutiennent en outre qu’il résulterait de ce dernier motif une méconnaissance de la liberté d’opinion et de la liberté de conscience.

68. Les députés auteurs de la première saisine et les sénateurs soutiennent également que ces dispositions laisseraient un pouvoir d’appréciation trop important à l’autorité administrative pour octroyer ou refuser l’autorisation d’instruction en famille. Il en résulterait, selon eux, une incompétence négative et une méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. 

69. Enfin, les sénateurs soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée en obligeant les parents à révéler à l’administration des éléments personnels au soutien de leur demande d’autorisation d’instruction en famille.

70. L’article L. 131-1 du code de l’éducation prévoit que l’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans. L’article L. 131-2 du même code dispose que cette instruction est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés.

71. Les dispositions contestées prévoient que cette instruction peut également, par dérogation, être dispensée en famille par les parents ou par toute personne de leur choix sur autorisation délivrée par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation. Elles prévoient que, sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant, cette autorisation est accordée soit en raison de l’état de santé de l’enfant ou de son handicap, soit en raison de la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, soit en raison de l’itinérance de la famille en France ou de l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public. Elles prévoient également que cette autorisation est accordée en raison de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

72. En premier lieu, en prévoyant que « L’instruction primaire est obligatoire … elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie », l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 mentionnée ci-dessus n’a fait de l’instruction en famille qu’une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire. Il n’a ainsi pas fait de l’instruction en famille une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l’enseignement.

73. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’enseignement ne peut qu’être écarté.

74. En deuxième lieu, selon l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement. Il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.

75. Les dispositions contestées prévoient que l’autorisation d’instruction en famille est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant » et qu’un décret en Conseil d’État précise les modalités de délivrance de l’autorisation.

76. D’une part, en subordonnant l’autorisation à la vérification de la « capacité … d’instruire » de la personne en charge de l’enfant, les dispositions contestées ont entendu imposer à l’autorité administrative de s’assurer que cette personne est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. D’autre part, en prévoyant que cette autorisation est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. Enfin, il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit.

77. Dès lors, sous la réserve mentionnée au paragraphe précédent, les dispositions contestées ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

78. En dernier lieu, si les dispositions contestées prévoient que l’autorisation d’instruction en famille est accordée sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté de conscience ou d’opinion des personnes qui présentent un projet d’instruction en famille.

79. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve mentionnée au paragraphe 76, les mots « à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation » figurant au premier alinéa et le huitième alinéa de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, qui ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

– Sur la place d’autres dispositions dans la loi déférée :

80. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

81. La loi déférée a pour origine le projet de loi déposé le 9 décembre 2020 sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie. Ce projet comportait cinquante et un articles répartis en quatre titres. Le titre Ier visait, en premier lieu, à garantir le respect des principes républicains dans les services publics et par les organismes à but non lucratif bénéficiaires de subventions publiques ou de dons. En deuxième lieu, il prévoyait des mesures tendant à protéger la dignité de la personne humaine. En troisième lieu, il créait un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion de certaines informations, renforçait les mesures de blocage ou de déréférencement de certains services de communication au public et prévoyait l’application des procédures de comparution immédiate ou à délai différé à certains délits de presse. En dernier lieu, il introduisait des dispositions relatives à l’instruction en famille et aux établissements d’enseignement privés. Le titre II prévoyait des mesures ayant pour objet de garantir le libre exercice du culte et la préservation de l’ordre public. Le titre III portait sur des dispositions relatives au droit d’opposition de la cellule de renseignement financier nationale mentionnée à l’article L. 561-23 du code monétaire et financier. Le titre IV prévoyait les dispositions relatives à l’outre‑mer.

82. L’article 90 précise que les groupes de travail des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance peuvent traiter de questions relatives à la prévention de la récidive et aux actions de prévention de la radicalisation. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec les articles 4 et 20 du projet de loi initial portant respectivement sur la création d’une nouvelle infraction visant à protéger les agents chargés du service public face à certains agissements et sur l’application des procédures de comparution immédiate ou à délai différé à certains délits de presse.

83. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

84. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.

– Sur les autres dispositions :

85. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. – Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi confortant le respect des principes de la République :

  • les troisième et quatrième alinéas du 3 ° du paragraphe I de l’article 16 ;
  • l’article 26 ;
  • l’article 90.
     
    Article 2. – Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
  • sous la réserve énoncée au paragraphe 25, l’article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi déférée ;
  • sous la réserve énoncée au paragraphe 76, les mots « à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation » figurant au premier alinéa et le huitième alinéa de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, dans sa rédaction résultant de l’article 49 de la loi déférée.
     
    Article 3. – Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
  • le premier alinéa de l’article 433-3-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de l’article 9 de la loi déférée ;
  • le 4 ° de l’article 25-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction résultant de l’article 15 de la loi déférée ;
  • les mots « agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » figurant au 1 ° de l’article L. 212-1 et l’article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction résultant de l’article 16 de la loi ;
  • le premier alinéa de l’article 223-1-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de l’article 36 de la loi.
     
    Article 4. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
     

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 août 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
 
Rendu public le 13 août 2021.
 

JORF n°0197 du 25 août 2021, texte n° 2
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.823.DC

Un principe consensuel à l’interprétation parfois problématique

Si la laïcité « fait maintenant partie du patrimoine national français », c’est à la manière d’un mot-valise qui fait parfois l’objet d’interprétations contradictoires. Certes, l’idée va désormais de soi, sauf pour les religieux fondamentalistes, d’une séparation mutuelle, et donc d’une autonomie d’organisation de l’État et des Églises. Les avis divergent sur :

  • la délimitation des espaces d’expression des appartenances religieuses, au-delà des espaces privés et des lieux de culte ;
  • le degré d’implication exigé des pouvoirs publics pour rendre possible cette expression (entre la simple autorisation et la mobilisation des moyens).

Les pouvoirs publics doivent-ils autoriser, peut-être même garantir par une action matérielle, l’expression de la liberté religieuse dans les espaces ouverts à la circulation publique, voire dans les services publics (écoles, hôpitaux, etc.) ? Cette question principielle se décline en de très nombreuses interrogations pratiques. Par exemple, faut-il autoriser le port du foulard islamique pour les élèves à l’école ? pour les agents publics dans l’exercice de leurs missions ? pour les accompagnatrices bénévoles des sorties scolaires ? sur les terrains des clubs sportifs ? Fallait-il interdire le voile intégral dans la rue ? Les communes ont-elles l’obligation de proposer aux élèves des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par
leurs convictions religieuses ? Les pouvoirs publics doivent-ils cesser de financer des établissements scolaires privés sous contrat, des aumôneries dans les prisons, les hôpitaux et les armées, les travaux de réfection de certains lieux de culte ou encore des plages horaires pour les religions dans l’audiovisuel public ? Et est-il envisageable de supprimer les jours fériés de l’Ascension ou de la Toussaint ? De ne pas faire classe les jours de Kippour et de l’Aïd ? 

Ces questions ne sont pas nouvelles. Loin d’être figée, l’application du concept de laïcité a souvent varié en fonction des attentes du corps social. Actuellement, ces questions s’inscrivent dans le contexte d’une modification du paysage religieux en France, avec la croissance importante de l’islam.

À notre époque comme au moment des débats sur la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, s’affrontent deux conceptions de la laïcité. L’une, d’inspiration libérale et qui s’est traduite dans la loi de 1905, met l’accent sur la liberté religieuse. L’autre, plus spécifique à la France, tend à « neutraliser » l’ensemble de l’espace public, c’est-à-dire à contenir la religion dans l’espace privé et les lieux de culte. Cette consigne de « discrétion » adressée aux croyants n’est pas, sauf récentes exceptions, traduite dans des normes juridiques mais elle
relevait depuis le début du XXe siècle d’une discipline collective, d’un modus vivendi, d’un consensus social.

Depuis 1905 jusqu’à l’essor de l’islam, ces deux conceptions coexistaient globalement sans heurts : les croyants, bon gré mal gré, adhéraient à cette discipline sociale qui venait compléter et limiter le libéralisme de la loi de 1905. Désormais, cet habitus laïque ne va plus de soi même s’il est encore très majoritaire. C’est pourquoi, de façon récurrente, de nouvelles normes juridiques (lois, décrets, arrêtés municipaux, etc.) sont édictées pour donner une force contraignante à ce qui n’était qu’un usage.
L’affirmation d’une partie des croyants dans l’espace public révèle le décalage, resté longtemps inaperçu, entre la loi de 1905 et ce qu’il est convenu d’appeler la « laïcité à la française ». D’où le clivage désormais éclatant entre ceux qui réclament la pleine application de la loi de 1905 et ceux qui veulent créer de nouvelles normes juridiques pour ajuster le droit à l’usage majoritaire.

Autrement dit, si la séparation institutionnelle entre les religions et l’État est réalisée et stabilisée, les limites du domaine dans lequel les individus peuvent exprimer leur religion font fréquemment l’objet de débats. Chaque nouvelle controverse fournit l’occasion d’un affrontement entre une « laïcité d’ouverture » et une « laïcité de combat ». La laïcité apparaît ainsi comme une politique publique au service soit d’une République multiculturelle, voire communautariste, soit d’une République plus homogène et assimilatrice.

Objectifs et principes de la politique de laïcité

Un triple objectif de libération de la décision publique, de promotion de la liberté de conscience et de paix sociale

Si la justice consiste, selon Augustin, à « rendre à chacun ce qui lui est dû », la laïcité opère une juste séparation entre politique et religion.

D’une part, l’État devient autonome, souverain, maître des choix politiques, rompant ainsi avec la logique de dépendance qui prévalait partiellement jusque-là. Il devient admis que le fondement du pouvoir est basé sur un contrat social, il ne découle plus d’une source transcendante car divine. Le processus de laïcisation, conjugué à l’extension du droit de vote, débouche donc sur la démocratisation, sinon la rationalisation, de la décision publique. À titre d’exemple, dans un régime laïque, sur des sujets tels que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou l’euthanasie, les arguments de type religieux ne sont pas recevables en tant que tels. La vie peut être défendue pour de multiples raisons, mais pas parce qu’elle serait un don de Dieu.

D’autre part, le principe de laïcité promeut la liberté de conscience – des croyants comme des non-croyants – et garantit l’égalité de leur traitement. La liberté religieuse a été reconnue en France aux protestants en 1789 et aux juifs en 1791. À l’inverse, un État athée (l’URSS hier ou la Corée du Nord aujourd’hui) ou un souverain qui imposerait sa religion à ses sujets (comme sous la monarchie absolue en France) répriment nécessairement la liberté de conscience d’une partie des citoyens. La laïcité protège l’ensemble des croyants et des non-croyants en ne favorisant aucune catégorie et en défendant, le cas échéant, la liberté religieuse des uns contre l’oppression des autres.

Pour cette raison, enfin, le principe de laïcité est le meilleur cadre pour « vivre ensemble » dans une société largement plurielle. Il assure la coexistence pacifique des opinions et conjure le risque de guerres civiles religieuses comme celles qui ont marqué les sociétés européennes aux XVIe et XVIIe siècles.

Deux principes complémentaires mais à hiérarchiser

Pour atteindre ces objectifs, l’État laïque mobilise deux principes :

  • la garantie de la liberté religieuse, dans le respect de l’ordre public et des autres libertés ;
  • la neutralité de l’État, dans le respect de la liberté religieuse.

Mais à quel principe accorder la prééminence ? La question se pose pour chaque cas concret. Plus l’emprise du principe de neutralité s’étend dans la sphère du service public, voire dans l’espace public, plus l’espace d’expression des croyances se réduit, et réciproquement.

La coexistence entre pluralisme religieux et neutralité de l’État ne va pas de soi. Ainsi, le lecteur qui, en parcourant la fin de l’article 2 de la loi de 1905, a été surpris (ou choqué) de constater que l’État doit financer des aumôneries, trahit son adhésion spontanée à la conception d’une « laïcité de combat ». Selon cette conception, en effet, les pouvoirs publics ne devraient apporter aucun concours, notamment financier, à l’exercice de la liberté de conscience. Le financement des aumôneries constitue alors une anomalie, un vestige de l’État pré-laïque.

Mais si, à l’inverse, l’accent est mis sur la liberté de conscience garantie à l’article 1er, celle-ci, qu’elle prenne la forme d’une croyance religieuse ou non, doit pouvoir se traduire dans des pratiques et non rester dans le « for intérieur ». Selon cette interprétation, il est logique que l’État laïque non seulement autorise mais puisse financer des aumôneries.

Premier principe : la reconnaissance de la liberté de conscience, dans le respect de l’ordre public et des autres libertés

La laïcité accroît les libertés : liberté des croyants et des non-croyants qui, dans des régimes confessionnels, peuvent être opprimés, et plus généralement, libertés individuelles comme le droit au divorce, à l’IVG ou au mariage homosexuel, rendus possibles par l’État laïque sans nuire aux croyants. Comme le dit l’historien et sociologue des religions Jean Baubérot : « Ce n’est pas par la répression mais par la promotion des libertés que la laïcité s’impose aux religions. »

Pour autant, la liberté religieuse est doublement limitée :

  • elle s’exerce dans le respect de la liberté d’expression des autres, même si celle-ci prend la forme de pièces de théâtre ou de dessins ou caricatures considérés comme blasphématoires ;
  • l’ordre public et les libertés fondamentales interdisent des pratiques telles que la répudiation, l’opposition à des transfusions sanguines par des témoins de Jéhovah ou la non-révélation à la justice d’agissements criminels au nom du secret de la confession. À cet égard, la lutte contre les dérives sectaires passe par la prévention et la répression des pratiques délictueuses, et non par la définition, donc la stigmatisation de telle ou telle organisation comme secte, ce qui serait contraire à la neutralité de l’État.

Second principe : la neutralité de l’État, sans préjudice pour la liberté religieuse

La neutralité désigne ici l’attitude de l’État qui s’abstient de prendre position dans les domaines de la religion. Cette non-immixtion dans les affaires religieuses peut être vue sous trois angles :

  • institutionnel : État et Églises sont organiquement distincts ;
  • législatif et réglementaire : l’État n’impose, ne privilégie et n’interdit aucune religion ;
  • financier : les pouvoirs publics ne subventionnent directement aucun culte (sauf pour les aumôneries). Sont néanmoins autorisées les aides indirectes telles que les avantages patrimoniaux et fiscaux consentis aux congrégations et aux associations cultuelles, ou les baux emphytéotiques pour la construction d’un édifice cultuel.

En France, le principe de neutralité se traduit notamment par celle du service public, qui implique que :

  • les usagers du service public soient traités sans discrimination ;
  • les agents ne disposent pas, « dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses » (Conseil d’État, 3 mai 2000, Mlle Marteaux).

Une nouvelle fois, toute la question est de savoir si la neutralité implique que l’État doive repousser toutes les religions ou arbitrer entre elles. Le neuter latin signifie-t-il un « ni… ni » (étymologie latine : ne et uter) ou un « et… et » ? Entre l’État qui relègue les religions dans la sphère privée et celui qui apporte son soutien à toutes les religions, sans discrimination, une gradation d’interprétations est possible, qui explique les débats récurrents. Par exemple, faut-il abolir les jours fériés catholiques hérités de l’histoire ou, au contraire, en réduire le nombre et reconnaître de nouveaux jours fériés pour l’islam et le judaïsme ? Faut-il cesser le financement de l’entretien des lieux de culte catholiques antérieurs à 1905 ou admettre également le financement public de mosquées ? Faut-il Imposer un menu unique consensuel (ex : végétarien) dans les cantines scolaires ou proposer systématiquement un menu de substitution quand un plat contenant du porc est servi ? Il existe donc deux façons bien différentes pour l’État d’être neutre, c’est-à-dire d’assurer l’égalité des cultes. On le voit, le principe d’égalité de traitement est consensuel mais autorise des solutions très variables, entre une conception intégratrice voire assimilatrice de la République et le communautarisme qui réduit l’État à un rôle d’arbitre entre des religions qu’il tolère, voire encourage.

De quelque façon qu’on la conçoive, la neutralité laïque n’est pas une politique publique fondée sur une vérité universelle, mais un choix politique fondé sur l’idée selon laquelle le respect de la pluralité des idées et des croyances est préférable à l’imposition d’une vérité unique. Cette neutralité n’implique pas l’inaction. L’État laïque n’est ni indifférent ni passif :

  • il peut intervenir pour faire respecter les libertés religieuses (protection des minorités) et même pour les rendre effectives (via des financements par exemple) ;
  • en sens inverse, il agit, le cas échéant, pour protéger l’ordre public et les libertés fondamentales des comportements religieux lorsque ceux-ci les menacent.

À cet égard, la neutralité ne saurait être absolue. « Il n’y a que le néant qui soit neutre« , disait Jean Jaurès. L’État promeut nécessairement une morale laïque, ensemble de principes et de valeurs qui se superposent aux différents credo religieux et rendent même possible leur coexistence. La simple idée que la religion est une affaire privée constitue un postulat, un acte de foi en la raison qui a dû être imposé historiquement aux religions et que l’école reproduit quotidiennement en formant l’esprit critique.